Je suis né un 29 février. Bon, c'est pas si mal d'un sens, ça veut dire que j'ai dans les... 9 ou 10 ans. Quelle veine! Je vous raconterais bien qu'un type a assassiné ma famille quand j'étais gamin, et que j'ai hurlé comme un vrai héros: JE VOUS VENGERAI!!! Mais ce serait mentir. J'ai des parents qui m'aiment et une grande soeur sur-protectrice, et ils sont toujours en vie. Ma mère m'a mis au monde sans complications, et c'est une bonne chose. Mais il parait qu'ils m'avaient perdu, j'avais été échangé avec un autre. Non non, rien ne bien extraordinaire, ils ont vu tout de suite que l'autre n'était pas le bon, et ils m'ont récupéré. Je fus élevé dans la joie et la bonne humeur, ainsi que dans l'affection démesurée de ma soeur qui me prenait en quelque sorte pour une poupée. Ma mère est journaliste, mon père avocat. Pour eux, la famille était désormais au complet, et j'avais hérité du prénom de Benjamin Junior (4e du nom). Oui, mon père, mon grand-père, mon arrière grand-père et mon arrière arrière grand-père s'appelaient Benjamin Burton. Bref. Très vite, mes parents remarquèrent que j'étais différent. Bon au début, ils ont cru que c'était de leur faute. Le bébé qui tombe de la table à langer, le biberon qui fuit au moment de le donner, s'apercevoir au dernier moment qu'il n'y a plus de couches à la maison... Mais en grandissant, ils comprirent que leur enfant était comme... Maudit.




A l'école, j'étais plutôt sage. J'arrivais parcontre presque tous les jours en retard pour des raisons différentes chaque fois. Ou alors je ne pouvais pas rendre un devoir car je cite "Mon chien l'a mangé m'dame" sauf que moi, c'était vrai. Je faisais beaucoup rire mes camarades, mais la plupart se moquaient de moi. Au fond de la classe, la chaise qui cède quand je m'assois, dans la cours, un ballon en pleine tête alors que je passais par là, le matin dans la rue, une voiture qui m'éclabousse de la tête aux pieds... En fait, tout ça n'a pas trop changé aujourd'hui. Mes parents commençaient à désespérer. Il arrivait même que je me fasse engueuler, souvent, mais ça ne durait jamais longtemps. J'étais le p'tit dernier, le chouchou. Au fil des années je pris l'habitude de ma mal chance et m'en accommodai. Adolescent, c'était pas facile à assumer. Surtout avec les filles. Ça ne durait jamais. Et puis, y'en avais pas beaucoup. Je n'étais pas du genre à m'affirmer, et les filles aiment les types sûrs d'eux. Mais je menais ma petite vie. J'étais très proche de ma soeur même si parfois elle m'énerverait à me taquiner. On avait une vraie relation frère/soeur quoi, mais en encore mieux. Elle me considérait toujours comme un gamin. Même à 39 ans en fait. Peut-être parce que je suis né le 29 février?

C'est ainsi que j'ai grandi. En dehors de tout ça, mes meilleurs souvenirs d'enfance resteront les balades à vélo en famille, les séances de skate avec mon père (on était devenus des pro!), les engueulades avec ma sœur qui finissaient toujours par des larmes et un câlin devant un bon film et du pop corn (c'était encore le cas aujourd'hui d'ailleurs). J'avais poursuivis mes études dans la photographie, ma mère me fit rencontrer du monde dans le milieu de l'édition, et tout s'est enchaîné très vite.




Être un adulte, ça a ses avantages et ses inconvénients. Une chose n'avait pas changé, cette poisse. En fait, très peu de choses avaient changé. Mes collègues me rappelaient trait pour trait mes anciens camarades de classe, s'amusant à m'humilier, à me jeter des gommes pour me voir sursauter, ce genre de choses. Si si ils l'ont déjà fait. Mais c'est aussi au travail que je l'ai rencontré elle. Mes histoires d'amour n'avaient été que catastrophes avant elle. J'avais 27 ans, elle en avait 25. On se croisait au travail, et mon apparente maladresse la faisait rire, mais pas d'un air moqueur comme les autres. Elle rayonnait.

Ce matin là, j'étais arrivé à l'heure. Je me dirige tranquillement vers la machine à café et salut vaguement trois collègues fanatiques des pauses café. Je glisse ma pièce de monnaie dans le distributeur, et sans que j'eus le temps de réagir, un collègue appuie rapidement sur "jus de tomate", ce qui me vaut un joli liquide rouge à la place de mon café. Je bug une seconde puis me retourne vers le dit collègue qui se marre avec les deux autres.

Je lève ensuite les yeux au ciel sans chercher d'avantage à lui répondre. Ainsi, mon jus de tomate et moi partons en direction de mon bureau pour rédiger un article. En fait, je n'avais pas de bureau à moi mais passons. J'étais multifonction. Je bus machinalement mon jus de tomate en allumant l'ordinateur. Je repose le gobelet. Un collègue me salut en passant, par l'encadrement de la porte. Je tourne mon fauteuil pour lui répondre mais il est déjà parti. Le dossier heurte le gobelet, et voilà mon jus de tomate étalé sur l'ordinateur portable du travail. Une vraie scène de crime.

Merde!

C'est à ce moment là qu'elle arriva dans le couloir, me voyant entrain de secouer le pauvre ordinateur la tête en bas pour qu'il recrache mon jus de tomate. J'entends la demoiselle rire et me retourne vivement sous la surprise. Je lui adresse un sourire, amusé.

J'ai, j'ai renversé du... Fin bref.

Elle rit de plus belle, rentrant dans le bureau.

Oh pauvre ordinateur...

Elle se moquait de moi. Mais gentiment. Elle me fait un clin d’œil et moi je lui souris bêtement, l'ordinateur dégoulinant entre les mains.

Venez, je vais vous en trouver un autre, et on n'aura cas cacher celui-là!

Je ris doucement et la remercie, la suivant jusqu'à son bureau. A peine arrivé, je me prends les pieds dans un fil d'ordinateur et tombe à la renverse, en avant. Elle éclata de rire et m'aida à me relever.

Vous, vous n'êtes vraiment pas banal.

C'était le plus beau compliment qu'on m'ait fait. Je pris mon courage à deux mains et l'invitait à diner, et puis ça s'est fait petit à petit. Elle s'appelait Candice. La belle, la sublime Candice. On a vécu un bon moment ensemble. Quelques années de bonheur. Six ans pour être exact. On s'aimait comme pas possible, et ma mal chance/maladresse la faisait rire. Le lit qui lache sous nos ébats, la douche qui fuit et qui éclabousse de l'eau partout dans la pièce, m'envoyant un jet en pleine figure... Tout cela la rendait joyeuse autrefois. Mais au bout d'un moment elle en avait marre. Elle ne voyait pas d'avenir avec moi, elle avait peur, tout ça la rendait folle. Les disputes étaient de plus en plus présentes, et petit à petit je me formais un cocon pour y échapper. Dans ces moments douloureux je m'évadais dans mes rêves. Je commençais à avoir des blocages, des "bugs". Mon cerveau s'échappait, je n'étais plus là. Ça avait le don d'énerver encore plus Candice. Je m'excusais sans fin. Je ne contrôlais pas. Je lui dis que je l'aimais plus que tout et elle finissait toujours pas craquer, mais elle n'était plus heureuse. J'ai eu peur de la perdre, alors je l'ai demandé en mariage, et elle a accepté. Tout se serait merveilleusement bien passé si le ponton sur lequel on posait pour les photos ne s'était pas écroulé et qu'on avait fini dans l'eau. Mariage gâché. Elle était furieuse. Elle est partie et m'a laissé là, le jour de mon mariage. Vous parlez du plus beau jour de ma vie... En tout cas c'est certain que je ne l'oublierai jamais.




Depuis je mène ma petite vie, seul. Je vais souvent voir ma famille, ou des amis. Mais je passe la plupart de mon temps dans le parc de mon quartier à lire, dessiner ou écrire, ou alors je me ballade, appareil photo en main. Ce soir là j'étais crevé. J'avais donc décidé de rentrer directement. J'avais appelé un taxi pour aller plus vite. Qu'elle ne fut pas ma surprise quand j'arrivai devant mon immeuble. Il... Il est ou? Je lève la tête vers les reste du bâtiment noir et en ruine. Tout plein de pompiers autour... J'avais tout perdu. Je restai devant, j'avais comme un blocage. Puis je fis demi tour, ma petite valise en main. Il ne me restait plus qu'à trouver un hôtel... J'appris le lendemain matin dans le journal que les fils de la liberté avait frappé, pile dans ma rue. Mais le pire dans tout ça, c'était que tous les immeubles autour du mien était intacts. Bon, ce n'est pas si grave.